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  • Photo du rédacteurgwendoline respinger

"Ca peut toujours être pire" : optimisme ou pessimisme ?


De Haiti au sud de la République Dominicaine


Nous avons quitté l’ile à vaches au sud de Haïti un peu comme on fuit un endroit où la charge émotionnelle est trop forte tellement la population de cette île, dite « oubliée des gouvernements » par ses habitants, semble démunie. Pour ce qui semble être une majorité, l’alimentation en eau potable se fait à la source, quelques pompes ont été installées et les gens s’y approvisionnent à l’aide de bidons ou seaux. L’électricité est distribuée par le biais de batteries. Sans batterie et ni panneau solaire pour la recharger, les habitants de l’ile à vaches n’ont pas d’électricité ; Vaisselle, lessive et toilette se font dehors à l’abri du soleil et des regards. Chaque équipage de bateau qui jette son ancre dans la baie de Caycok est sollicité, voire sur-sollicité. Cette immersion m’a rappelé que manger 2 ou 3 fois par jour est, et reste un luxe, que bénéficier d’une alimentation diversifiée est un super luxe, que l’eau et l’électricité à profusion ne sont pas des acquis et, depuis 18 mois que nous naviguons, j’avais eu le temps de me rafraîchir la mémoire.


Cap sur le sud de la République Dominicaine, vent et vagues de face…pas agréable mais attendu ! Une nuit de navigation, nous nous succédons pour les quarts, posons l’ancre à la sauvage pour reprendre quelques forces et repartons tôt, très tôt après un sommeil réparateur en direction de Barahona. Les prévisions météo semblent favorables, même si certains moments de la navigation vont s’avérer délicats.

Au Cap Beata, le vent va forcir, la mer se creuser ; le phénomène sera amplifié par une remontée de fonds conséquente : le sondeur* passe de 500m à 8m. En s’approchant du cap, le creux des vagues augmente, le capitaine prend la barre pour tenter de manœuvrer avec plus de souplesse les vagues qui se succèdent inlassablement, et épargner ainsi le pilote automatique. Ikigai tape, nous donne l’impression de tomber dans les creux, les passe-avants sont submergés. Le navire étant haut sur l’eau, nous n'avions pas encore été confrontés à cela. Certaines vagues s’abattent avec fracas sur le rooftop* qui nous protège efficacement de douches peu désirées. La côte défile doucement, Ikigai progresse avec peine, à l’arrière du voilier l’annexe, solidement arrimée sur les bossoirs*, se balance dangereusement. Les bossoirs vont-ils tenir et résister à la violence des chocs ?

Le sommeil est souvent une stratégie pour lutter contre l’inconfort et la nausée d’un léger mal de mer ; je me laisse envahir par la somnolence et laisse Jo à la barre. Dormir accélèrera le rythme des aiguilles je le sais. A mon réveil, le Cap Beata s’est un peu éloigné, le mouvement du bateau est moins saccadé, un des bossoirs n’a pas résisté : notre annexe repose en partie à l’arrière du bateau sur ce qui s’appelle la jupe*. La navigation toujours au moteur redevient plus fluide, plus douce. Nous sommes néanmoins toujours secoués par une houle de travers qui remue nos réservoirs d’essence déjà fort chahutés, et contribue à faire remonter les boues créées par les bactéries présentes dans le combustible. Ces précipités encombrent le circuit d’alimentation du moteur d’Ikigai si aidant quand le vent et les vagues jouent contre le navire. Nous écoutons le moteur « brouter », croisant les doigts pour qu’il ne s’arrête pas, déroulons la voile d’avant pour conserver une certaine manœuvrabilité si jamais !

Trente minutes plus tard, le moteur tousse une dernière fois puis le silence s’installe. Ikigai est instantanément ralenti. Nous constatons de surcroît qu’il est freiné par un casier de pêche accroché au passage, un des multiples casiers de pêche signalés par des bouteilles de soda transparentes qui ornent la côte de la République Dominicaine. Nous voyons les bouts* trainer dans notre sillage. Il est exclu de tenter une remise en route sous crainte de voir ces cordages s’enrouler autour de l’hélice, ce serait épineux. Notre destination est encore à 7 miles nautiques* tellement proche après une navigation de 85 MN, et aussi tellement loin quand la vitesse se réduit drastiquement. Les détails à terre se précisent, les couleurs s’affinent et s’affirment, les habitations apparaissent. La côte qui apparaît comme un havre de paix peut s’avérer être le plus grand danger pour un navire peu ou pas manœuvrant.

Il est 16h00, la nuit tombe vers 18h30, le soleil est au beau fixe, pas de grain à l’horizon. Ikigai continue d’avancer grâce à ses deux voiles d’avant, même si la direction et la force du vent ne correspondent pas à ce que les applications météo nous avaient laissé espérer ... ça fait partie du jeu !

Debout sur la plage arrière du bateau, je regarde autour de moi, constate sur les cartes nautiques que l’entrée de la baie de Barahona, protégée par une barrière de corail, se rapproche ostensiblement. Derrière cette barrière il sera temps de rentrer les voiles pour remettre le bateau à plat, poser l’ancre pour plonger et retirer les bouts de la dérive, du safran, de l’hélice que sais-je, puis tenter de remettre le moteur en route et aller jeter l’ancre au fond de la baie pour constater l’avarie, réparer. Au moment où ce flux de pensées défile dans mon esprit, je me dis : « ça aurait pu être pire ! », et une sensation de légèreté m’emplit la poitrine. En effet, le vent aurait pu être plus fort, encore moins bien orienté, nous aurions pu être pris dans des grains, nous aurions pu casser les deux bossoirs, il aurait pu faire nuit, il aurait pu faire froid… La liste des ennuis potentiels aurait pu être longue.

Et je me pose une question : « Avec des pensées pareilles, suis-je devenue pessimiste ? Et si tel est le cas quel exemple suis-je pour l’adolescent, dont je suis la mère, au regard de ce que je souhaite lui transmettre ? »



Optimisme, pessimisme ou comment expliquons-nous les situations fâcheuses que nous rencontrons ?

Expert sur l’optimisme, Martin Seligman, précurseur de la psychologie positive, explique que l’optimisme réside dans le fait de prendre « les coups durs pour un revers provisoire circonscrit à une situation précise, situation d’ailleurs que l’optimiste ne se reproche pas mais impute aux circonstances, à la malchance ou aux autres ». Être ou non optimiste dépend de la manière dont chacun explique ses revers et dépasse ce que Seligman appelle l’impuissance acquise, c’est un mode de pensée acquis pendant l’enfance et l’adolescence qui découle directement de l’idée que l’on se fait de sa place dans le monde. » Trois dimensions permettent de clarifier notre mode d’explication : la permanence, le degré de généralisation et la personnalisation :

  • La permanence, c’est la référence au temps : la difficulté rencontrée est-elle vécue comme ponctuelle, passagère (optimisme) ou permanente, comme un phénomène qui revient systématiquement empoisonner notre vie (pessimisme) ?

  • La généralisation porte sur l’espace dans lequel nous nous mouvons, notre champ d’action : le revers rencontré dans un cadre précis reste-t-il cantonné à ce cadre déterminé (optimisme) ou impacte-t-il d’autres sphères de notre vie (pessimisme) ? Comment avons-nous appréhendé l’incertitude liée à l’arrêt du moteur d’Ikigai, à la présence de cordage si près de l’hélice ? La situation a-t-elle entraîné une dégradation des relations à bord du bateau ?

  • Enfin la personnalisation porte sur la possibilité et la tendance à endosser la responsabilité des évènements fâcheux traversés (pessimisme) ou à accuser les circonstances, la malchance ou encore autrui (optimisme). Etions-nous responsables de la panne moteur, de l’avarie sur le bossoir ou cela relève-t-il des circonstances climatiques, de l’état de la mer ?

L’analyse de la situation passée au crible de ces trois dimensions me rassure, mes réponses correspondent bien à un mode d’explication optimiste. La vie en mer ne laisse pas d’autres choix : rester, face aux évènements, soumis à un état d’impuissance peut très vite se révéler plus que fâcheux, voire dangereux. Et pour revenir aux apports de Seligman sur l’optimisme, il est urgent dans certains cas de ne pas se laisser entraîner dans un optimisme débordant, une juste dose de pessimisme permet de garder le sens des réalités et d’objectiver certains diagnostics.


Et alors ?

Nous passons la barre de corail, il sem

ble que les casiers que nous trainions se soient détachés, nous rentrons une des deux voiles d’avant, Ikigai se redresse, l’heure de vérité se présente…le moteur redémarre. Quelques minutes d’attention pour valider qu’il continue à ronronner, que nous disposons toujours de ce moyen de propulsion si aidant pour les manœuvres de port, et dans plein d’autres circonstances. Je me fais la sensation d’être un marin d’eau douce en pensant aux prémices de la voile quand la propulsion motorisée n’existait pas 😉 !!

Nous arrivons un dimanche soir vers 18h30 et les représentants des douanes et de l’immigration nous alpaguent pour remplir les formalités séance tenante ; ils étaient attablés au yacht club avec Paul, marin français, ancien capitaine de marine marchande, 36 ans d’expérience en mer qui s’est lancé dans l’aventure de la voile en solitaire. Il nous raconte sa navigation entre l’île à vaches et Barahona, nous explique que sa navigation a duré 5 jours et 5 nuits au cours desquels il a dormi une moyenne de 3h quotidiennes, qu’il a cru à un moment s’échouer son voilier confronté étant confronté aux vagues, au vent et aux courants contraires, …

Alors oui en mer, « ça peut toujours être pire ! », une pensée optimiste teintée de réalisme car la navigation maritime échappe au principe « du tout contrôle » et c’est bien cela que nous sommes venus chercher !!




* sondeur : système électronique permettant d’évaluer la hauteur d’eau sous le bateau

* bossoirs : deux pièces qui permettent de soulever et fixer l’annexe à l’arrière du bateau

* rooftop : protection en dur au-dessus du cockpit

* 1 mille nautique = 1,852 km

* bout : cordage

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