Le Petit Larousse le définit comme une force de caractère, une fermeté qui permet d’affronter le danger, la souffrance, les revers, les circonstances difficiles…on parle d’avoir du courage, d'en faire preuve !!
Institutionnel comme souvent les définitions du dictionnaire, je préfère les citations qui donnent de la matière aux mots. Nelson Mandela disait : « le courage n’est pas l’absence de peur mais la capacité de vaincre ce qui fait peur. » Paulo Coelho aborde à mon sens le sujet plus complètement : « la peur n’est pas un signe de lâcheté. C’est elle qui nous permet d’agir avec bravoure et dignité dans certaines circonstances. Celui qui éprouve la peur et va cependant de l’avant sans se laisser intimider, fait preuve de courage. »
Alors pourquoi un post sur le courage ?
Je suis prompte à reconnaître le courage chez autrui et j’en perçois aisément les manifestations : un enfant qui se relève après une chute, un ami cher qui vit avec la maladie de Charcot, cette affection qui transforme son corps en prison, son épouse qui depuis 6 ans l’accompagne au quotidien dans la vie avec la peur de le perdre, une personne endeuillée qui craint de continuer à vivre sans l’autre, un marin en solitaire qui se retrouve dans une situation périlleuse, voire critique comme Kevin Escoffier lors du dernier Vendée Globe miraculeusement retrouvé par le roi Jean. De nature hypersensible, toutes ces situations, et je pourrais allonger la liste encore et encore, m’émeuvent, me touchent, me poussent à croire en l’être humain. Quand nous avons annoncé notre projet, vendre notre maison, pour beaucoup idéalement située dans le Golfe du Morbihan, pour acheter un voilier et embarquer pour une nouvelle aventure, nous avons reçu beaucoup de retours pour certains reflet des peurs de nos interlocuteurs, pour d’autres stimulants, enthousiastes, supporters et parmi tous ces mots partagés : « vous êtes courageux ». Interloquée, j’avais effectué alors quelques recherches internet sur la notion de courage pour comprendre, en restant centrée sur l'aspect cognitif du message, et… je n’ai pas compris pourquoi on nous disait cela.
Mise en situation : récit de navigation
En quittant la Rochelle pour notre première grande navigation quelques mois plus tard, nous avons été confrontés en pleine nuit à une panne de pilote automatique dans le Golfe de Gascogne. Qui dit défaillance de pilote dit équipage à la barre pour garder le cap !! La nuit était magique, c’était le début de l’aventure, la thématique du courage ne m’est pas revenue, j’étais émerveillée par la beauté du ciel et des éléments au lever du jour : vivre le présent !
Dans les semaines qui ont suivies, lors de la descente du Portugal, nous avons eu des difficultés à enrouler la grand-voile dans le mat juste avant, pour une fois, de faire escale dans une marina. La loi de Murphy étant ce qu’elle est, au même moment, le vent s’est levé et nous avons essuyé une thermique à 30 nœuds soit 55km/h. Vu la configuration du port, difficile de faire une arrivée à la voile, il nous fallait limiter la prise au vent du bateau, le capitaine m’a confiée la barre, s’est précipité sur le roof top pour dénouer le point d’écoute* et nous permettre d’enrouler ces 55m2 de toile autour du mât avec un autre bout. La manœuvre était osée, la force de la bôme colossale, le risque que le capitaine passe par-dessus bord n’était pas nul, le chariot de grand-voile faisait un bruit assourdissant derrière moi ajoutant à mon stress. A ce moment-là, je me suis interrogée sur la façon dont nous allions pourvoir à notre besoin de sécurité ? Nous étions tous les trois embarqués sur Ikigai, notre nouvelle résidence principale. La vente de la maison servait de source de financement. Beaucoup de nos amis étant impliqués dans des projets immobiliers destinés à assurer leur sécurité matérielle pendant que nous nous installions dans une vie où notre sécurité matérielle se résume à une coque en polyester de 2cm qui nous sépare des éléments. Je me suis interrogée sur notre choix de vie, sachant qu’étant plus qu’actrice dans cette prise de décision, il ne me reste qu’une issue : assumer, vivre ce que mon père me disait : « la liberté c’est choisir ses contraintes. » Je les avais choisies.
Les 16 mois qui ont suivis se sont déroulés sans ombre au tableau, selon un calendrier intimement lié au conditions météorologiques mais correspondant aux grandes lignes posées au départ. A la sortie du Guatemala, après trois mois de travaux, de révision d’éléments qui n’avaient pas encore été vérifiés et validés par le capitaine, nous pensions être ponctuellement à l’abri des aléas techniques, espoir d’autant plus grand que nous démarrions la descente vers les Petites Antilles, à priori vagues et vent de face sur une distance équivalente à la traversée de l’Atlantique, une longue balade : il nous faudra 3 mois entre le Rio Dulce et Grenade incluant une traversée entre la République Dominicaine et Grenade longue de 477 MN tout droit, plus 550 pour nous, avec un vent de force 6 établi (40km/h).
Durant cette traversée j’ai intégré ce qu’est le courage. J’ai eu un cancer du sein, avec une double ablation et mon unique peur concernait l’impact de ma façon de vivre cette maladie sur mon fils. On m’a dit forte, courageuse, je dirais plutôt inconsciente.
Isla de Saona – Grenada, navigation au près à 50° du lit du vent, un plan de pont incliné fortement, nous avons tous dormi accrochés à nos matelas. Pour gagner en confort, nous avions anticipé la préparation d’une partie des repas. Le pilote automatique consomme la majeure partie de l’énergie du bord.
Après 2 jours et demi de navigation, préoccupé par le niveau des batteries rendues défaillantes suite à une exposition prolongée aux chaleurs importantes du Guatemala, le capitaine tente de mettre le groupe électrogène en marche. L’engin démarre puis s’étouffe…une fois, deux fois, trois fois…Alors ok option B : démarrer le moteur du bateau qui permet également de recharger les batteries. Le moteur ronronne puis s’étouffe également comme s’il n’était pas alimenté en carburant…une fois, deux fois, trois fois…le capitaine inspecte les préfiltres (pardon pour le côté technique), s’aperçoit qu’ils sont pleins d’eau, en fait pleins d’eau salée…de l’eau de mer probablement embarquée dans les réservoirs par les évents situés sur l’extérieur du bateau, et normalement positionnés suffisamment haut sur la coque pour éviter ce genre d’aléas. Il faut croire que nous devions giter* beaucoup.
Le constat étant fait, plus question de démarrer le moteur sans risque majeur pour la pompe à injection que nous ne saurions changer dans les Grenadines, pour cause de difficulté d'approvisionnement. La fin de la navigation se fera à la voile :
Charge à nous de régler notre voilure pour ne pas être trop embêtés par les surventes ou les grains, et pour arriver là où nous sommes normalement attendus,
Charge à nous également d’économiser l’énergie pour que le pilote automatique puisse continuer à barrer ; nous allons donc naviguer sans instrument de navigation, sans AIS, … à l’ancienne en fait quand il n’y avait ni moteur, ni électronique à bord des voiliers… Mais au moment où le capitaine m’annonce la nouvelle, ce n’est pas ce que je me dis. Je me dis plutôt : « Alors on n’a plus de moteur pour l’instant, on n'a pas d’énergie donc pas d’électronique, et on n’a pas non plus la possibilité d'utiliser les winchs* qui sont presque tous électriques pour jouer sur le réglage des voiles. »
Il est 2h du matin, j’ai pris mon quart ½ heure plus tôt, je vois apparaître un navire tous feux allumés, un vrai sapin de Noel. On les connaît ces bateaux, le plus souvent, ce sont les paquebots de croisière qui profitent des nuits pour naviguer d’une ile à l’autre et tenir ainsi leur promesse auprès des milliers de clients endormis à leur bord. Au même moment, le vent se lève, des gouttes commencent à tomber, un grain arrive : il faudrait choquer la grand-voile et modifier un peu le cap le temps qu’il passe. Mais ces pensées très pragmatiques ne me viennent pas à l’esprit, j’ai peur, et je ne sais pas de quoi j’ai peur car nous ne sommes pas en danger mais j’ai peur. Je rallume l’électronique pour surveiller la trajectoire de l’autre et une éventuelle route de collision. Je réveille le capitaine qui modifie le réglage de la grand-voile, s’installe tranquillement à la table à carte pour suivre les routes de chaque navire, appelle le paquebot à la radio VHF qui selon moi met trop de temps à ajuster son cap : nous sommes à la voile et donc prioritaires quand même !! Il nous indique sa manœuvre et nous voyons sur notre écran sa trajectoire s’incurver doucement. Jo me rappelle que nous nous trouvons simplement dans les mêmes conditions qu’un certain nombre de marins il y a juste quelques 20 ans en arrière puis retourne se reposer. Je reste seule dans le cockpit avec la voie lactée et mes pensées. Je me repasse le film des évènements depuis 12h00 :
J’accueille la peur qui m’a habitée pendant ces instants, lui souhaite la bienvenue
Je regarde ce que j’ai appris, voire réappris et je l’applique dès le grain suivant
Je réalise que cet épisode m’a fait grandir, je me sens apaisée.
Je me remémore ce qui nous a été dit au moment de notre décision : « vous êtes courageux » et je comprends, j’intègre cette évaluation comme un élément constitutif de notre quotidien.
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