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  • Photo du rédacteurgwendoline respinger

Est-ce que renoncer, c’est échouer ?



Le projet de départ visait à changer de mode de vie, s'émanciper de certains diktats sociétaux, trouver une voie parallèle pas en dehors mais pas complètement dedans. Nous avions pendant et après mon cancer du sein décidé de vivre nos rêves : faire le tour du monde en voilier ; nous voulions passer Panama, arriver jusqu’aux Marquises, jusqu’à la Polynésie.

D'où l'achat d'un grand voilier pour accueillir du monde à bord : proposer croisières charter et surtout des croisières combinant vacances et développement personnel (je n'aime cette étiquette mais ne sais la remplacer) : développer plus d'audace sur son chemin, trouver son ikigai, développer une relation bienveillante avec soi et ses émotions, ou encore accompagner sur le chemin de la résilience des personnes atteintes par la maladie. Un bien chouette projet, un projet avec du sens...


La pandémie du covid nous vint en aide en nous imposant un an de plus pour préparer le bateau, construire un site et imaginer des programmes pour ces croisières.

Nous avions contractualisé avec notre fils de 13 ans au moment du départ une période de 2 à 3 ans avant de se poser quelque part dans le monde : le rêve était d’atteindre la Polynésie Française et à partir de là nous verrions.


De l'écologie d'une décision

Nous avions peut-être mis quelques œillères sur certaines parcelles de notre projet de vie, moi me disant que nous apprendrions en marchant :

  • J’avais pris conscience de mon incompétence pour générer le trafic nécessaire sur nos pages internet (réseaux sociaux et site) et renforcer notre visibilité. Recruter un.e « community manager » pour nous accompagner semblait pertinent, ce métier existe et ne s’improvise pas. La visibilité sur nos rentrées d’argent dans la caisse de bord étant incertaines, je ressentis une certaine frilosité à recruter un.e crack, et me promis d’apprendre. Et je ne l’ai peut-être pas fait assez vite !

  • Nos premières navigations donnèrent lieu à des ajustements techniques sur ikigai et si cela est parfaitement normal, ces situations me questionnèrent : comment allions nous assurer notre sécurité sachant que pour acheter ce bateau nous avions vendu notre maison ? Nous disposions de quelques liquidités dormantes sur des comptes bancaires peu rémunérateurs à l’heure où nos amis les plus proches consolidaient leur patrimoine par l’acquisition de biens immobiliers. Est-ce que la sécurité se restreint au nombre de milliers d’euros disponibles sur un compte bancaire ? Pour ma part, j’en doute et pourtant j’éprouve des difficultés à m’extraire de ce paradigme car la ressource pécunièrer peut faciliter la mise en action. Quant à l’homme qui m’accompagne, lui en est convaincu : l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue dit le proverbe….

  • J’avais également omis de considérer l’impact de l’adolescence sur notre fils. Partir au moment où il sortait de la 6ème eut été facilitant. A l’issue de 2 ans de collège, la transformation était en cours, le garçon se transformait en adolescent, un jeune homme artiste, citadin, fan de mangas et de bd avec quelques amis triés sur le volet, quelques amis avec lesquels il engageait une relation intense qui aurait du mal à résister à l’épreuve de la distance ; Comment lui reprocher ?

  • Autre élément de contexte, et il est probable que mon récit présente des impasses : notre lieu d’habitation devenait notre lieu de travail avec ce que l’on connaît de la promiscuité dans un monocoque. Ce qui ne me semblait pas un handicap à l'origine l’est doucement devenu. L’adolescence nous confronte au processus d’individuation. Qui dit individuation dit un respect de l’autre, de celui qui progressivement affirme son tempérament : extraverti, introverti, encombré par des poussées d’hormones dont il ne sait que faire génératrices de sautes d’humeur intempestives et inexpliquées 😉 !! La promiscuité devenait encombrante !!


Pourquoi toutes ces anecdotes ? Je me souviens de la première formation PNL que j’ai suivie, l’enseignant illustra le concept d’écologie relationnelle et systémique en narrant une période de sa vie qui l’avait bouleversé. Il avait fait des études de médecine, avait travaillé à l’étranger avec des ONG, avait ensuite rédigé nombre d’articles portant sur la médecine : plusieurs vies professionnelles toutes pourvues d’une part certaine d’inconnu. Il découvrit la PNL, suivit le cursus d’enseignant, il acquit, alors, la conviction que son prochain défi professionnel était de créer un centre de formation PNL. Son épouse à l’époque ne se positionnait pas comme supporter de ce nouveau projet. L’écologie de son système et de son projet était conditionnée par le changement d’un ou plusieurs critères !! La séparation entre époux fut consommée, le centre de formation créé et il dispense toujours des formations au cœur de Paris. Et pour nous, avais-je ou avions-nous vraiment analysé l’écologie de notre projet ??



Du prix de la liberté

Aujourd’hui, nous naviguons depuis 18 mois. Nous avons quitté la Rochelle en juin 2020. En arrivant au Cap Vert, 6 mois plus tard, nous avons décidé de ne pas passer Panama comme fantasmé dans les premiers temps. La Polynésie apparaissait inadaptée pour différents critères : filière des études supérieures, marché de l’emploi, facilité de retour en métropole en cas de problème avec nos parents déjà âgés, éloignement amical et familial. Nous allions rentrer en Europe mais à Barcelone pour vivre encore le voyage, la découverte, l’apprentissage quotidien, et découvrir autre chose. Après une traversée de l'Atlantique paisible, une saison de travail « mitigée » sur les petites Antilles, des échanges approfondis avec notre fils en mode "je te tire les vers du nez pour savoir comment c’est pour toi le voyage", nous avons pris la route vers le Guatemala pour nous mettre à l’abri entre septembre et fin novembre, période des ouragans, avec la sensation de pouvoir faire une pause. La période à venir nous apportait une forme de certitude : nous connaissions approximativement notre programme : récupérer des amis en République Dominicaine puis les laisser continuer leur tour du monde à Cuba, en retrouver d’autres qui démarraient leur tour du monde, visiter Cuba par la terre et la mer, naviguer vers le Rio Dulce au Guatemala pour entamer 3 mois de travaux sur le bateau et améliorer encore le confort à bord, accompagner notre fils pour la rentrée en 3ème, seconde année de scolarisation à distance. Ça rassure de savoir ce qui t’attend, ça tranquillise, ça permet d’imaginer que tu maîtrises. La liberté sur les océans a un prix : vivre l’inconnu au quotidien ! savons nous vraiment l'accueillir cet inconnu et si tel n'est pas le cas, quelle énergie cela nous prend-il ?


Le rêve peut-il devenir un projet ? De la place de la peur dans nos décisions

Trois mois au Guatemala, 3 mois de découverte d’un autre pays, d’une autre culture. Le constat que certains ont posé leurs bateaux sur les pontons des marinas du Rio Dulce pour ne plus repartir dans leurs pays d’origine sauf urgence médicale. Dans le jargon marin, on appelle ces navires des "bateaux berniques". Ils ne bougent plus, n’ont plus l’espoir de voguer et d’effleurer ni le souffle vent ni les vagues. Leurs capitaines n’ont plus l’âge, plus la forme, plus l’argent pour les entretenir. Sur l’autel de la liberté, certains ont rencontré une certaine forme de pauvreté. Est-ce que cela fait partie de nos aspirations ?


Décider dans l'incertitude !!

Au sortir du Guatemala, redescendre le Rio Dulce et redécouvrir les superbes dégradés de vert que le fleuve nous offre, valider que les travaux réalisés apportent un réel plus, croiser les doigts pour que d’autres difficultés n’apparaissent pas trop vite. L’objectif, revenir sur les Antilles Françaises et travailler avec le bateau. Une navigation longue comme une traversée de l’Atlantique mais avec le vent et les vagues dans le nez… Parallèlement, si les travaux réalisés ont optimisé le confort à bord, les conditions climatiques du Rio Dulce (jusqu’à 48°C dans le bateau) ont généré quelques désagréments techniques non souhaités, dont je tairai une description qui pourrait être confusante.

La fatigue des nuits de quarts, l’exigence de la vie en bateau qui a comme contrepartie la liberté qu’elle offre, les incertitudes relatives à une installation à Barcelone (pas de place à la marina, pas de place au lycée français, pas prioritaire pour les inscriptions avec des parents entrepreneurs de toute façon, pas de NIE - numéro d’identification d’étranger - délivré sur présentation d’un contrat de travail ou d’un compte en banque très garni, pas d’inscription en lycée espagnol sans NIE, la maîtrise de l’espagnol qui reste encore à acquérir….) Encore une liste de questions sans réponse 😉!! Décider dans l’incertitude, ça a été le titre d’une séquence pédagogique incluse dans un programme managérial d'une grande entreprise française. Je m’en souviens comme si c’était hier et je prends conscience à nouveau que la plus grande difficulté réside dans l’acceptation que décider dans l'incertitude ne se fait pas sans engagement émotionnel.



L'écologie de notre système familial

Ces éléments réunis nous ont fait reconsidérer notre point d’atterrissage en Europe et finalement 26 mois après être partis nous allons revenir à la Rochelle, dans le vieux port. Le sourire rayonnant de notre fils quand nous avons acté cette décision nous a convaincu que c’était la meilleure solution pour lui. Cette prise de conscience engageant notre responsabilité parental : avions nous le droit de sacrifier sa construction sur l'autel de nos désirs d'adulte...

Et pour nous ?

Mon conjoint se projette demain facilement. Revenir à la Rochelle simplifie son avenir : la langue, la Rochelle est « the place to be » pour exercer dans le nautisme. Avec ses antécédents et ses compétences, il va trouver comment et où prolonger sa vie professionnelle positivement.

Et pour moi ? Revenir à la question initiale car j'étais la seule de notre équipage à ressentir le besoin de répondre à cette interrogation : est-ce que renoncer c’est échouer ? J'emprunterai les mots d'Antonio Machado, poète espagnol pour répondre :


Voyageur, le chemin Ce sont les traces de tes pas C’est tout ; voyageur, Il n’y a pas de chemin, Le chemin se fait en marchant Le chemin se fait en marchant Et quand tu regardes en arrière Vois le sentier que jamais Tu ne dois à nouveau fouler Voyageur ! Il n’y a pas de chemin Rien que des sillages sur la mer. Tout passe et tout demeure Mais notre affaire est de passer De passer en traçant Des chemins Des chemins sur la mer


Alors non, renoncer n’est pas échouer mais juste laisser d’autres traces de chemins sur les océans du globe…

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